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Imaginaires atomiques : explosion artistique au Centre Dürrenmatt Neuchâtel

La nouvelle exposition « Imaginaires atomiques » au Centre Dürrenmatt Neuchâtel, en écho troublant avec l’actualité mondiale, invite à une réflexion profonde sur l’impact de l’énergie atomique et de ses représentations. Jusqu’au 9 février 2025, l’exposition présente les œuvres de Friedrich Dürrenmatt et celles de cinq artistes invités, offrant ainsi une exploration artistique riche et plurielle sur ce thème complexe.

Bombe apocalyptique et engagement citoyen

Friedrich Dürrenmatt a 24 ans lors des premiers bombardements atomiques de l’histoire sur les villes d’Hiroshima et de Nagasaki, en août 1945. Dessinateur de catastrophes depuis l’enfance, sensibilisé aux questions épistémologiques et passionné par la physique, il déclarera rétrospectivement que le développement de la bombe atomique ne l’a pas beaucoup surpris.

Comme d’autres artistes de sa génération, il crée de nombreuses œuvres liées à l’arme nucléaire. Ses dessins et peintures représentent une bombe surdimensionnée ou au contraire si petite qu’un personnage parvient sans peine la porter seul, tandis que ses pièces et récits évoquent tantôt une menace planant sur l’humanité, tantôt un monde post apocalyptique.

En tant que citoyen, Dürrenmatt s’engage en soutenant notamment des initiatives antinucléaires. Devenu une figure publique à l’après-guerre, il aborde régulièrement le sujet lors d’entretiens, soulignant l’importance de changer notre mode de pensée afin de préserver l’espèce humaine.


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Dürrenmatt l’apocalypticien

Friedrich Dürrenmatt a pris la mesure du changement de paradigme qu’a impliqué l’arrivée de la bombe atomique, qu’il relie notamment à l’Apocalypse biblique. Ses productions artistiques liées au nucléaire s’inscrivent dans un corpus de catastrophes en tous genres: guerre, accident et fin du monde foisonnent dans ses écrits et tableaux. Si ce répertoire riche en désastres peut laisser croire à une vision pessimiste, l’écrivain et peintre s’attache à révéler les mécanismes des catastrophes pour tenter de les éviter. La catastrophe – du grec «bouleversement», signifiant initialement le dénouement inattendu d’une tragédie – lui est utile pour des raisons dramaturgiques, mais elle constitue aussi un moyen de mettre en garde l’humanité en proposant une représentation du pire scénario qui pourrait advenir.

Plus largement dans le monde de l’art, on assiste à une multiplication d’œuvres apocalyptiques dans la seconde moitié du 20e siècle, qui auraient joué un rôle dans la dissuasion nucléaire.

L’art et l’énergie nucléaire

De la fin du 19e siècle à aujourd’hui, de nombreux artistes de toutes formes d’expression – arts plastiques, cinéma, littérature, arts vivants, etc. – ont traité du nucléaire sous différents prismes, de la radioactivité à la bombe atomique en passant par l’enfouissement des déchets.

L’exposition associe aux œuvres de Friedrich Dürrenmatt les travaux de cinq autres artistes afin d’apporter un éclairage contemporain sur la thématique. Avec ses couleurs vives et son grand format, Atombombe de Miriam Cahn joue sur la tension entre le caractère destructeur de la bombe atomique et la beauté formelle du champignon nucléaire. Dans le même esprit, Chrysanthemum II d’Alain Huck fusionne le motif de la fleur de chrysanthème, symbole d’harmonie et d’épanouissement au Japon, avec l’iconographie du champignon atomique.

Gilles Rotzetter s’intéresse quant à lui de près à l’histoire de la bombe atomique suisse ; ses œuvres percutantes et expressives aux médiums variés revisitent l’imaginaire du nucléaire, de l’atomic pin-up au réduit national.

Cinq œuvres de Vanessa Billy sont présentées dans l’exposition. Dans ses travaux, l’artiste interroge régulièrement l’impact de l’activité humaine sur l’environnement. Nuclear Sun nous rappelle que le Soleil est source de vie sur Terre, mais qu’il a également servi de modèle pour la bombe à hydrogène.
Le dessin Smoke de Christine Boillat se déploie sur plus de cinq mètres de papier. Le fusain donne à voir des arbres incendiés au milieu de nuages, vision d’une catastrophe où le funeste côtoie le fantasmagorique.

À l’occasion de l’exposition, le CDN a souhaité mettre en valeur le texte de chanson que Friedrich Dürrenmatt a écrit pour le Cabaret Cornichon à Zurich en 1948, La chanson du planteur sur la plus éloignée des planètes, en invitant le musicien bernois Trummer (*1978) à le mettre en musique et à l’interpréter, et en confiant le dessin du clip vidéo à l’illustratrice neuchâteloise Agathe
Borin (*1994).

Des réflexions toujours d’actualité

Si la pensée de Friedrich Dürrenmatt est ancrée dans le 20e siècle, plusieurs de ses réflexions gardent leur pertinence face aux enjeux du 21e siècle, à l’heure où ressurgit la menace d’une guerre atomique et que la question de l’énergie nucléaire fait son retour dans les débats. L’intelligence artificielle, utilisée notamment dans les armes autonomes, remet la question de la responsabilité au cœur des discussions, tandis que les questionnements de Dürrenmatt sur l’incapacité de l’être humain à se représenter les conséquences possibles de ses inventions technologiques gardent toute leur actualité.

Les réflexions de Dürrenmatt sur l’autodestruction de l’humanité peuvent être transposées à la notion d’anthropocène, responsable du dérèglement climatique, la plus grande forme d’auto-anéantissement de l’espèce humaine au 21e siècle. L’écrivain et peintre a cependant régulièrement intégré une note d’espoir dans ses œuvres apocalyptiques, soulignant que celles-ci visaient à montrer que «la Terre est une chance». Dürrenmatt à Paris Des œuvres de Friedrich Dürrenmatt de la collection du CDN sont présentées dans l’exposition L’Âge atomique – Les artistes à l’épreuve de l’histoire (du 11 octobre 2024 au 9 février 2025) au Musée d’Art Moderne de Paris. L’exposition explore les représentations artistiques suscitées par la découverte scientifique de l’atome et de ses applications au 20e siècle.

Imaginaires atomiques : les artistes de l’exposition

Friedrich Dürrenmatt
Né en 1921 dans l’Emmental bernois, Friedrich Dürrenmatt s’installe en 1952 dans le vallon de l’Ermitage à Neuchâtel, où il produira la majorité de ses œuvres littéraires et picturales. Connu dans le monde entier pour ses pièces de théâtre – notamment La Visite de la vieille dame (1956) et Les Physiciens (1962) – et pour ses romans policiers, Dürrenmatt a également peint et dessiné toute sa vie. S’il garde cette passion relativement secrète de son vivant, elle est à ses yeux essentielle: le dessin s’inscrit dans un rapport de complémentarité avec l’écriture et tous deux permettent de donner forme à son imaginaire, avant tout visuel. Plus d’infos dans la rubrique «Le Centre Dürrenmatt Neuchâtel».

Vanessa Billy
Portant un intérêt marqué pour la matérialité, Vanessa Billy interroge régulièrement dans ses travaux l’impact de l’activité humaine sur l’environnement ou les relations entre actions humaines individuelles et conséquences collectives. Née en 1978 à Genève, Vanessa Billy vit et travaille à Zurich, après des études au Chelsea College of Art. L’artiste est lauréate de plusieurs prix. En 2021, une double exposition lui a été dédiée au Centre d’art Bienne et à la Villa Bernasconi à Genève.

Christine Boillat
L’univers onirique de Christine Boillat se déploie principalement en noir et blanc dans des fusains qui atteignent parfois un format monumental. Ceux-ci peuvent devenir des installations en soi ou créer des environnements totaux lorsqu’ils sont combinés à des objets ou de la vidéo. Née à Lausanne en 1978, Christine Boillat vit et travaille à Genève. Diplômée de la HEAD à Genève, l’artiste a notamment reçu le Prix cantonal du fonds d’art contemporain de Genève.

Miriam Cahn
Miriam Cahn est reconnue pour ses œuvres d’une puissance expressive sans concession et son engagement politique, féministe et antinucléaire. Née en 1949 à Bâle, Miriam Cahn vit et travaille à Stampa, dans les Grisons. Peintre, dessinatrice, photographe, performeuse et sculptrice, elle obtient une reconnaissance en Europe dès les années 1970 et recevra par la suite des prix prestigieux. Son travail a été présenté à la Biennale de Venise, à la documenta de Kassel ou lors d’expositions personnelles, récemment au Palais de Tokyo à Paris.

Alain Huck
Alain Huck explore dans sa pratique artistique différentes préoccupations, parmi lesquelles les formes de domination de l’être humain sur la nature. Le dessin au fusain, notamment de grand format, occupe une place majeure dans son travail, mais celui-ci peut prendre d’autres formes: peinture, sculpture, vidéo ou installation. Né en 1957 à Vevey, Alain Huck vit et travaille à Lausanne. Parmi plusieurs distinctions, il reçoit à trois reprises le Prix suisse d’art. Une exposition importante est prévue au Musée cantonal des Beaux-Arts à Lausanne en 2025.

Gilles Rotzetter
Par la peinture, l’écriture ou l’installation multimédia, le travail de Gilles Rotzetter s’intéresse à des sujets historiques et politiques en explorant leur influence sur le présent. Né en 1978 à Vevey, Gilles Rotzetter vit et travaille à Winterthur. Après des études en histoire de l’art, il s’oriente vers la pratique artistique avec un Master à la Haute Ecole de Lucerne. Il reçoit plusieurs prix, dont le Prix suisse d’art à deux reprises. En 2017, il présente son travail sur le nucléaire dans l’exposition Swiss Atom Love Part 3 au Kunstmuseum de Lucerne.

Imaginaires atomiques
Jusqu’au 9 février 2025 au Centre Dürrenmatt Neuchâtel
www.cdn.ch

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