Le Prix Goncourt 2024 a été décerné lundi à l’écrivain franco-algérien Kamel Daoud pour son roman Houris, tandis que le Franco-Rwandais Gaël Faye s’est vu attribuer le Prix Renaudot pour Jacaranda. Le roman de Kamel Daoud, publié aux éditions Gallimard, a été choisi dès le premier tour par le jury, récompensant son exploration poignante de la « décennie noire » en Algérie, cette guerre civile qui a bouleversé le pays il y a trois décennies. Daoud succède à Jean-Baptiste Andrea, primé en 2023 pour Veiller sur elle (L’Iconoclaste).
Pour Houris, sélectionné parmi trois autres finalistes (Madelaine avant l’aube de Sandrine Colette, Jacaranda de Gaël Faye, et Archipels d’Hélène Gaudy), Kamel Daoud s’empare de l’histoire complexe et douloureuse de l’Algérie pour offrir une résonance inédite et intime.
Houris : les voix silencieuses de la guerre civile
Le titre Houris renvoie aux vierges promises aux fidèles musulmans au paradis, mais dans ce roman, ce sont les voix refoulées de la guerre civile algérienne des années 1990 qui s’expriment. L’histoire suit Aube, une jeune femme muette ayant perdu l’usage de la parole pendant ce conflit tragique. À travers des monologues intérieurs et une prose poétique, le roman libère une mémoire longtemps réprimée, destinée par la narratrice à l’enfant qu’elle porte mais ne souhaite pas garder.
Houris n’a pas été autorisé à l’exportation vers l’Algérie, ni même à être traduit en arabe. Comme l’explique Kamel Daoud dans le texte, la loi algérienne interdit toute mention des événements violents de la « décennie noire » (1992-2002) entre le pouvoir et les islamistes. « En Algérie, on m’attaque car je ne suis ni communiste, ni décolonial encarté, ni antifrançais, » déclarait cet « exilé par la force des choses » au Point, où il est chroniqueur, en août. Kamel Daoud avait déjà reçu le Prix Goncourt du premier roman en 2015 pour Meursault, contre-enquête, une relecture contemporaine de L’Étranger d’Albert Camus.
Gaël Faye reçoit le Prix Renaudot pour Jacaranda
Cité parmi les favoris pour le Goncourt, Gaël Faye a remporté le Prix Renaudot pour son second roman, Jacaranda. À 42 ans, cet auteur au parcours singulier, naviguant entre slam, musique et littérature, fait à nouveau résonner dans son œuvre les échos du Rwanda, pays marqué par l’histoire douloureuse du génocide. Dans Petit pays, lauréat du Prix Goncourt des lycéens en 2016 et immense succès de librairie, il se plaçait dans la peau d’un enfant grandissant au Burundi. Cette fois, avec Jacaranda, il situe son intrigue dans le Rwanda de l’après-génocide de 1994.
Le lecteur découvre Milan, un jeune Franco-Rwandais qui multiplie les séjours à Kigali, terre d’origine de sa mère. À travers ses rencontres avec quatre générations, il remonte le fil de l’histoire et tente de briser les silences du Rwanda. « C’est beaucoup de joie, une grande surprise, » a déclaré Gaël Faye lors de la remise du prix au restaurant Drouant, lieu emblématique des prix Renaudot et Goncourt. Il succède ainsi à Ann Scott, récompensée en 2023 pour Les insolents (Calmann-Lévy).
Ces deux distinctions consacrent non seulement le talent de leurs auteurs, mais aussi la force de leurs voix respectives qui, à travers les récits de guerre et de mémoire, résonnent bien au-delà des frontières littéraires.
Photo : Francesca Mantovani ©Gallimard