Patrick Chappatte dessinateur de presse slash culture

Patrick Chappatte, le dessin de presse au service de la liberté d’expression

Écrit par
Jonathan Beck
Photos
Patrick Chappatte / Gabriel Brauschweiger
Lieu
Genève

Patrick Chappatte, dessinateur de presse suisse de renommée internationale, incarne la quintessence du commentaire graphique. Son trait incisif, mêlé à un humour subtil et souvent percutant, éclaire les grandes questions de notre époque. Né en 1967 à Karachi, au Pakistan, d’un père jurassien et d’une mère libanaise, son parcours atypique reflète un esprit cosmopolite. Depuis ses débuts modestes à Genève jusqu’à son rayonnement mondial, il a fait du dessin de presse un espace de réflexion et de critique. Dans cette interview, il dévoile les multiples facettes de sa vie, de son enfance nomade à ses engagements pour la liberté d’expression.

Des racines aux souvenirs flous

Patrick Chappatte a vu le jour dans une région du monde marquée par la diversité et les tensions, avant de connaître une enfance marquée par les voyages. Né à Karachi, il passe ses premières années à Singapour avant que sa famille ne s’installe en Suisse. Ces déplacements lui laissent des impressions fragmentées mais significatives, qui ont façonné sa perception du monde.

Je garde des flashs de Singapour : une école où l’on apprenait le chinois avec des images, où on devait répéter. Puis, un souvenir plus marquant : l’arrivée en Suisse, un moment un peu traumatique pour un nouvel élève.

En Suisse, il découvre la stabilité mais aussi le défi de s’intégrer dans un nouvel environnement. Les classes où il arrive sont déjà soudées, et il doit trouver sa place. Ce déracinement, vécu à un jeune âge, semble avoir nourri sa capacité à observer les différences et à aborder des thèmes globaux dans son travail.

Savoir tourner les pages pour y esquisser son avenir

Les premiers dessins de Patrick Chappatte naissent sur les versos de brochures scolaires. Enfant, il recouvre des cahiers de gribouillages et de bandes dessinées. Ses récits visuels, bien que brouillons à ses débuts, traduisent déjà une fascination pour les histoires.

Mes dessins d’enfant, ce sont des BD sur des cahiers, au verso de brochures. Il y a des coffres pleins de feuilles, et pourtant, je ne comprends pas toujours ce que je voulais raconter.

L’élément déclencheur survient lorsqu’il voit l’un de ses dessins publié dans le journal La Suisse. Encore collégien, il découvre la puissance de l’impression et la gratification immédiate de voir son travail exposé à un public. Cette première publication agit comme une étincelle qui propulse sa passion vers une ambition professionnelle.

Dessinateur plutôt que médecin

Comme beaucoup d’artistes, Patrick Chappatte a dû faire face aux attentes de sa famille. Sa mère, d’origine libanaise, rêvait de le voir médecin ou chirurgien, un métier prestigieux et stable. Lui, pourtant, suit son instinct et choisit la voie incertaine du dessin de presse.

Mes parents étaient inquiets, mais pour moi, ce choix était une évidence. Je suis tombé dans cette marmite et je n’en suis jamais ressorti.

Le soutien du journal La Suisse, où il débute comme stagiaire puis pigiste, lui permet de franchir les premières étapes de sa carrière. Il y découvre la rigueur journalistique et se frotte aux défis de l’actualité. La chance s’invite aussi dans son parcours lorsqu’un poste de dessinateur de presse se libère au journal, une opportunité rare qu’il saisit.

Dessiner au-delà des frontières

Aujourd’hui, Patrick Chappatte est une figure respectée du dessin de presse international. Il travaille pour des titres prestigieux comme Le Temps en Suisse, Der Spiegel en Allemagne, Le Canard Enchaîné en France, et The Boston Globe aux États-Unis. Cette diversité géographique enrichit son regard mais demande aussi une grande flexibilité culturelle.

J’ai toujours pas compris ce qu’est l’humour germanique, mais peut-être qu’un jour je le comprendrai.

Chappatte s’adapte aux sensibilités des différents publics. L’humour graphique, par exemple, est mieux reçu dans les pays germaniques, tandis que le jeu de mots reste un terrain français. En revanche, il évite les calembours en anglais ou en allemand, conscient des nuances linguistiques.

L’ère des réseaux sociaux : visibilité et controverse

Les réseaux sociaux ont bouleversé le métier de dessinateur de presse, offrant une visibilité inédite mais exposant aussi les artistes à des malentendus. Patrick Chappatte le sait bien : ses dessins, parfois viraux, ont suscité des polémiques internationales.

Grâce aux réseaux sociaux, je n’ai jamais été aussi vu. Mais ça donne aussi une exposition qui est facteur de malentendu.

Deux exemples marquent sa carrière : un dessin sur la Cour suprême américaine, interprété comme islamophobe, et un autre sur la population indienne, qui déclenche une crise diplomatique entre l’Inde et l’Allemagne. Ces incidents rappellent que, dans un monde hyperconnecté, l’intention initiale peut être détournée.


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Le dessin de presse en mutation

Malgré les défis, Patrick Chappatte reste optimiste quant à l’avenir du dessin de presse. Il estime que la force de l’image et la nécessité d’un commentaire critique sont plus importantes que jamais, notamment face à la désinformation et aux memes anonymes.

Quand on a un dessinateur de presse, il y a une traçabilité. On sait qui parle, donc un public s’attache à une personne et sait plus ou moins à qui il a affaire. Il y a une forme d’honnêteté dans cette relation.

Pour soutenir sa vision, il préside la Fondation Freedom Cartoonists, qui défend la liberté d’expression et honore les dessinateurs de presse courageux à travers le Kofi Annan Courage in Cartooning Award.

Chappatte en scène, le spectacle dessiné

Depuis janvier 2024, Patrick Chappatte explore un nouveau terrain d’expression : le spectacle. Inspiré par ses conférences TED, il monte sur scène avec un one-man-show qui mêle humour, dessin live et réflexions sur son métier.

C’est un mélange de conférence et de spectacle. Je fais vivre mes dessins différemment, et je partage les méandres de mon processus créatif.

Le spectacle commence comme une présentation classique avant de basculer dans une performance visuelle et narrative. L’accueil enthousiaste du public confirme que Chappatte a trouvé une nouvelle façon de faire vivre le dessin et de se connecter à son public. Le spectacle rencontre un véritable succès et est complet pour la plupart des représentations.

Les prochaines dates du spectacles
14 décembre 2024, 20h : Bicubic, Romont (complet)
18 et 19 décembre 2024, 20h : Bâtiment des forces motrices, Genève
25 janvier 2025, 20h : Théâtre du Passage, Neuchâtel
26 janvier 2025, 17h : Théâtre du Passage, Neuchâtel

Une passion intacte : transmettre et inspirer

Patrick Chappatte est pleinement conscient de la responsabilité qui vient avec son métier. Quand on lui demande quel conseil il prodiguerait à une personne souhaitant devenir dessinateur de presse, il sourit, mais encourage les jeunes talents à se lancer dans le dessin de presse, tout en les incitant à diversifier leurs compétences :

« Bon courage, bravo. Il faut y aller avec un maximum d’outils. Le dessin, c’est un outil magique, un crayon, une feuille, et on peut raconter le monde. »

Pour lui, le dessin reste un langage universel et une arme puissante pour défendre la liberté et éclairer l’actualité.

Dessinateur de presse, un métier entre audace et retenue

Dans un monde où les sensibilités sont exacerbées, Patrick Chappatte compare son métier à celui d’un funambule. Il navigue entre provocation et justesse, cherchant toujours à viser juste. Bien qu’il admette s’auto-censurer parfois, il considère cela comme une forme de professionnalisme, un équilibre entre expression artistique et responsabilité.

Je ne cherche pas la provocation pour la provocation. Chaque dessin doit être justifiable.

Quand on aborde le sujet de la liberté d’expression, en évoquant notamment l’affaire Charlie Hebdo, Patrick Chappatte est unanime :

Je cherche à ajuster le tir. C’est un peu comme l’artillerie, il faut viser dans la cible. Ça ne sert à rien de viser trop fort et trop loin. Évidemment que Charlie Hebdo a jeté une ombre sur toute la profession. Et évidemment que dans notre subconscient de cartooniste, on a tous Charlie Hebdo en tête. Et ce serait mentir que de dire que ça ne doit pas nous influencer quelque part. Mais en même temps, le contraire est vrai, c’est-à-dire que face à la peur, face à la tétanie, la meilleure réponse parfois c’est juste le courage.

Une aventure humaine et artistique

Patrick Chappatte n’est pas seulement un dessinateur de presse, il est un témoin engagé de notre époque. À travers son art, ses engagements et désormais ses performances scéniques, il continue de poser un regard critique et indispensable sur le monde. Pour lui, le dessin est bien plus qu’un métier : c’est une manière de comprendre et de raconter notre humanité.

Pour suivre l’actualité de Patrick Chappatte, rendez-vous sur son site officiel : www.chappatte.com

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