L’huile sur toile « La chasse aux grèbes » de l’artiste lausannois François Bocion (1828-1890) a réalisé un record mondial lors d’une vente aux enchères à Bâle début avril. Un musée privé suisse a remporté le tableau pour 270’250 francs, après des enchères au téléphone.
Dans La chasse aux grèbes, François Bocion nous transporte sur les eaux calmes du Léman, par un matin d’automne, quelque part près de Montreux. Une barque fend le lac. À son bord, des hommes concentrés, fusil en main. L’un d’eux vient de tirer : la cible, invisible, a déjà plongé hors champ. Toute la tension du moment est figée dans la toile, entre silence suspendu et frisson de la traque.
Cette scène, presque cinématographique, évoque un mode de chasse aujourd’hui disparu, mais autrefois prisé dans la région. Dans Ouchy, mon village, Anne van Muyden Baird se souvient : « Au mois de novembre, on chassait le grèbe […]. On y allait en péniche avec deux rameurs. […] Il fallait ramer vite et longtemps […] viser juste et vite, car le grèbe plongeait et disparaissait sous l’eau à la moindre alerte. » Une pratique sportive, exigeante, et surtout réservée aux gentlemen britanniques installés sur les rives du Léman — ces mêmes amateurs éclairés qui ont tant influencé les loisirs et les arts de la région au XIXe siècle.
Avec ce tableau de jeunesse, Bocion signe une œuvre saisissante, à la croisée du paysage romantique et de la peinture de genre. Son regard sur la scène n’est pas sans rappeler celui des réalistes américains comme George Caleb Bingham ou Thomas Eakins, maîtres dans l’art de sublimer les gestes du quotidien.
À noter : une version plus petite et moins élaborée de La chasse aux grèbes est conservée au Musée d’Art et d’Histoire de Neuchâtel (29,5 × 48 cm), preuve de l’importance que l’artiste accordait à ce sujet dès ses débuts.
Plus de 5 millions de francs récoltés
Une plus petite huile sur bois de Bocion a également atteint un très beau résultat: estimée entre 8000 et 12’000 francs a été adjugée à 82’566 francs, a indiqué la maison de vente Artcurial Beurret Bailly Widmer dans un communiqué mardi.
Au total, plus de 5 millions de francs ont été récoltés après deux journées de ventes aux enchères consacrées pour la première à l’art suisse et l’art international avant 1900, et la seconde à une collection privée suisse.
Toujours pour des peintres suisses, le portrait d’une inconnue de Ferdinand Hodler (1853–1918) a trouvé preneur pour 190’538 francs, et la série complète des instruments de musique de Félix Vallotton, une suite très recherchée de six gravures sur bois, a suscité beaucoup d’intérêt et fut achetée par un collectionneur privé pour un total de 63’513 francs.
Dans un autre registre, une Vierge à l’Enfant du peintre allemand Lucas Cranach l’Ancien (1472–1553) a été acquise pour 736’745 francs, dépassant très largement son estimation haute.
Et du côté des artistes français, le Paysage de Cagnes de Pierre-Auguste Renoir (1841–1919) a été acquis pour 203’240 francs par un client européen, et les deux vues d’Antibes de Paul Signac (1863–1935) ont été adjugées 260’401 francs à un acheteur français.