Nichée au pied du Jura, face aux Alpes, la Fondation Jan Michalski est bien plus qu’un bâtiment spectaculaire ou un havre de lecture : c’est un lieu où les écritures se croisent, s’explorent, se partagent et s’incarnent. Slash Culture vous emmène à sa découverte.
Imaginée par Vera Michalski en hommage à son époux Jan, cette fondation incarne une ambition triple : soutenir la création littéraire, diffuser le goût de lire auprès du plus grand nombre et donner à voir toutes les formes de l’écrit.
Née du rêve partagé de Vera et Jan Michalski, celui de créer un espace vivant consacré à la littérature, aux échanges et à la découverte, la Fondation prolonge l’engagement éditorial du couple, fondateurs des Éditions Noir sur Blanc. Après la disparition de Jan en 2002, Vera décide de concrétiser ce projet à Montricher, là où ils résidaient depuis les années 1980, afin de faire vivre leur vision commune d’une culture ouverte et universelle. Créée en 2004, la Fondation Jan Michalski est aujourd’hui l’un des lieux littéraires les plus emblématiques de Suisse.
Une architecture pensée comme un poème
Difficile de parler de la Fondation sans évoquer son architecture saisissante : 90 piliers de béton qui prolongent la forêt toute proche, surplombés d’un toit ajouré figurant une canopée. « La métaphore qui a été proposée par les architectes du cabinet de Nyon a été en fait de poursuivre la forêt qui touche à la Fondation à travers des arbres en béton », nous informe Aurélie Baudrier, responsable de la communication, qui nous accompagne dans notre visite.
Imaginée par les architectes Vincent Mangeat et Pierre Wahlen, cette structure évoque naturellement la canopée. Suspendues entre les arbres de béton, des « cabanes » accueillent les écrivains en résidence.
« Ici, le paysage dialogue avec l’écriture. C’est un lieu de calme, de travail, mais aussi de vie partagée. Chaque année, une cinquantaine d’auteurs et de traducteurs du monde entier viennent s’y ressourcer pour une résidence de 15 jours à trois mois » précise Aurélie.
Une bibliothèque comme un monde
Accessible à tous du mardi au dimanche, la bibliothèque offre un voyage à travers les littératures du monde. Plus de 80’000 ouvrages en une quinzaine de langues, organisés par zones géographiques, y attendent les lecteurs curieux. Dès qu’on y entre, on ressent une forme de vertige : les cinq étages de rayonnages s’élèvent comme une cathédrale de livres, baignée d’une lumière douce qui glisse entre les coursives.
On se sent minuscule au milieu de ce temple du livre, comme dans une bibliothèque de cinéma, où chaque balcon, chaque coursive semble suspendu dans la lumière. Le silence y est feutré, presque solennel, mais jamais intimidant. Ici, tout invite à la flânerie, à la curiosité, à l’émerveillement discret de tourner les pages d’un ouvrage venu d’un autre continent.
Une carte de bibliothèque permet même d’en emprunter. Et puis, il y a la « cerise sur le gâteau » : la collection Varia, un espace à part où la littérature flirte avec la photographie, le dessin ou la performance. Un lieu de découvertes et d’étonnement.
C’est d’ailleurs dans cette collection qu’Aurélie a eu un coup de cœur : À suivre de Sophie Calle. « Elle est autant performeuse que poète. Dans ce livre, elle crée un double fictionnel d’elle-même, suit et photographie des inconnus dans la rue, imagine leurs vies… C’est un objet littéraire hybride, entre texte, photo, et performance, à la fois intrigant, poétique et un peu fou. »
Expositions, événements : croisements fertiles
Depuis 2013, la Fondation propose également au public des expositions littéraires singulières. Certaines ont rendu hommage à des figures comme Colette, Simenon ou Nabokov. D’autres ont exploré les rapports entre livre et art visuel, comme les gravures de Miró dialoguant avec Paul Éluard. D’autres encore défrichent des genres : roman graphique, photolittérature, livre d’artiste… Des formats plus petits s’intercalent entre ces grandes expositions, et une collaboration avec Patti Smith est même en discussion.
La Fondation Jan Michalski présente, jusqu’au 18 janvier 2026, une exposition en hommage au photographe Yves Debraine, à l’occasion du centenaire de sa naissance. L’exposition invite à découvrir romanciers, poètes et philosophes dans leur environnement d’écriture ou leur paysage de prédilection, saisis avec justesse et humanité.
En savoir plus sur l’exposition « Yves Debraine Portraits d’écrivain·es »
© Archives Yves Debraine, 2025
Au-delà des expositions, la Fondation Jan Michalski programme aussi des événements vivants : lectures, concerts littéraires, festivals thématiques. « Ces rencontres rendent la littérature plus accessible, plus incarnée, parfois plus drôle aussi », souligne Aurélie Baudrier.
Les résidences d’écriture : suspendre le temps pour créer
Sous la canopée de béton de la Fondation Jan Michalski, sept cabanes suspendues abritent chaque année une cinquantaine d’écrivains et de traducteurs venus du monde entier. Ces modules, conçus par des architectes aux sensibilités variées, sont à la fois des lieux de vie et de travail : chacun dispose d’une chambre, d’un bureau, d’une cuisine et d’une vue plongeante sur le paysage du Jura. L’idée est simple et puissante : offrir aux auteurs un espace où le temps ralentit, où les mots peuvent s’inventer loin des contraintes du quotidien.
Les résidences durent entre quinze jours et trois mois. Elles accueillent des voix confirmées autant que des plumes émergentes, sélectionnées par une commission chaque automne. Le séjour favorise l’écriture, mais aussi la rencontre : les résidents partagent souvent leurs repas dans une grande cuisine commune où naissent souvent les échanges, les complicités, et parfois même de nouveaux projets littéraires.
Soutenir l’écriture à tous les niveaux
Le Prix Jan Michalski, décerné depuis 2010, récompense chaque année une œuvre littéraire internationale remarquable. Un jury tournant, composé d’écrivains, de personnalités culturelles et d’un artiste, choisit l’ouvrage primé.
Parallèlement, une commission examine les demandes de subventions pour des projets éditoriaux ou culturels. Parmi les événements soutenus en 2025, on peut notamment citer le festival « Poésie en arrosoir » à Neuchâtel et « La Manufacture des idées » en France, autour de la justice sociale et environnementale.
Rire au bord du tragique
Parmi les souvenirs marquants d’Aurélie à la Fondation, l’un brille d’une lumière particulière : la venue de l’écrivain Joseph Ponthus, peu avant son décès. Auteur du bouleversant À la ligne, il était venu non pas pour parler de ses conditions de travail en usine (sujet central de son livre), mais pour échanger avec sa traductrice espagnole, Regina López Muñoz, en résidence à Montricher.
« Ce moment était d’une intensité rare. C’était drôle, poignant, profond. Sa traductrice lui lançait : ‘Mais comment veux-tu que je traduise ce passage ?’ Et Joseph, avec ses grands yeux bleus, riait. On parlait du travail, du langage, de la fatigue, de la poésie… C’est là que la littérature montre sa puissance : elle permet d’absorber la violence du réel, sans perdre la lumière. »
Un café sous la canopée
À Montricher, même le café de la Fondation est pensé pour accueillir. On peut venir y boire un thé, lire quelques pages, ou simplement franchir la porte « sans se sentir écraser par un projet d’exposition », sourit Aurélie. Un lieu ouvert, accessible, où la contemplation côtoie la création. Car si le lieu impressionne par sa beauté et son ambition, il reste profondément humain et chaleureux.
Un lieu à découvrir. Et à faire découvrir.
Fondation Jan Michalski
En Bois Désert 10
1147 Montricher
Horaires bibliothèque et café
Mardi – Dimanche : 9h – 18h
Horaires exposition
Mardi – Vendredi : 14h – 18h
Samedi – Dimanche : 11h – 18h
