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Titanic : entre romance, épave et frissons Dicapriens

Écrit par
Clara Forax
Photos
Clara Forax
Lieu
Lausanne

10 heures du matin. Me voilà dans le train, en route pour un événement majeur : notre première rencontre, mon âme sœur et moi. Ce matin, j’ai mis mes plus beaux habits et me suis pomponnée pour cet heureux jour.
Nous nous sommes donné rendez-vous à Beaulieu, un joli endroit de Lausanne, halle 35, à l’exposition Titanic. L’endroit parfait pour une première rencontre, surtout avec lui.
28 ans que j’attends ce moment.
Et lui patiente depuis près de 50 ans.
Madame Clara Dicaprio, ça sonne bien non ?
Je trépigne d’impatience à l’idée de nos premiers regards échangés. Il l’ignore peut-être encore, mais nous sommes faits l’un pour l’autre, c’est sûr et certain ! Et il ne pourra nier l’évidence lorsqu’il m’apercevra, ma jolie frange et moi.


Arrivée au point de rendez-vous à 11h30.
Je me présente à l’accueil sous mon nom de jeune fille. Je savoure ce moment, empreint de mélancolie, car c’est une des dernières fois que je l’utilise.
Mon nom figure sur la liste des invités. C’est évident, le destin m’encourage sur ce chemin.
L’on me remet avant d’entrer une carte d’embarquement. Durant cette visite, je revêts la peau d’un personnage ayant réellement été passager du Titanic, lors de ce voyage tragique. Je l’accepte et c’est parti ; la vitesse de croisière est enclenchée, direction l’Amour avec un grand A.
Pour celles et ceux qui seraient curieux d’en apprendre plus sur mon identité prêtée, voici :
Je serai aujourd’hui, et pour le temps de la visite, Mr. Thomas Drake Martinez Cardeza. Âgé de 36 ans et originaire de Germantown, Pennsylvanie. Je ne voyage pas seul, puisque ma mère, Madame Charlotte Cardeza et nos employés, Gustave Lesueur et Anna Ward m’accompagnent pour cette traversée. Nos cabines se trouvent en première classe. Dans l’une des suites les plus chères du modeste rafiot.

Comptez en tout deux chambres, un salon et une promenade privée de cinquante pieds.
Et heureusement, car il n’en faut pas moins pour ranger nos quelques quatorze malles, nos quatre valises et nos trois caisses de bagage.

J’apprends par cette même carte que Mr. Cardeza et sa mère revenaient d’un safari en Afrique et qu’ils s’étaient arrêtés en Hongrie, afin de visiter la réserve de chasse de l’héritier et probablement son épouse également.
Mais sa mère l’avait convaincu de partir et de l’accompagner jusqu’à son propre foyer, en Pennsylvanie, à bord du célèbre bateau.
Personnellement, je ne commettrais pas cette erreur. Je ne laisserai rien ni personne se mettre en travers de mon beau Léo et moi, pas même ma mère.


J’entre ; l’endroit est parfait. Ambiance marine et lumières tamisées, de quoi me mettre encore plus en beauté. Et quoi de plus romantique que le Titanic ?
En venant, j’ai bien révisé et je ferai tout le contraire de Kate Winslet, qui a lâchement laissé mon bien-aimé mourir d’hypothermie dans les eaux glaciales de l’Atlantique nord, dans l’adaptation de James Cameron. Si la place venait à nous manquer, je le laisserais volontiers monter sur moi.
Premier couloir avant la première salle :
Pas de Leonardo en vue.
Je déambule alors en veillant à bien suivre le sens de l’exposition, mon audioguide en main et en ne manquant rien de ce qui m’est présenté : le parcours du tristement célèbre bateau, les Suissesses et Suisses à son bord, ainsi que quelques extraits de courriers personnels mêlés aux gros titres de la presse de l’époque.


Concernant nos compatriotes helvétiques, ils étaient au total 28 à bord. Passagers et membres d’équipage inclus. 17 hommes, 10 femmes et un enfant.
Des banquiers, évidemment, mais aussi des avocats, des commerçants, des étudiants, un cuisinier, un garçon de salle, ainsi qu’une serveuse, un glacier et un commis-cafetier.
Âgés de 4 à 60 ans, ils provenaient d’un peu partout en Suisse.
J’apprends également une anecdote plus sombre dans ce premier couloir ; l’iceberg responsable du tragique naufrage du Titanic se serait détaché en 1909, soit la même année que le lancement de la construction du paquebot. Des années plus tard, le paquebot fut achevé et mis à l’eau, le bloc de glace était lui aussi en position pour le grand final : la collision.

Un coup du sort et l’ironie du destin

Mais rien à voir avec ma propre histoire. Bien que l’univers s’en mêle, je figurais sur la liste des invités, rappelez-vous. Ce ne peut qu’être l’œuvre de ma bonne étoile, non ?
Mon audioguide me susurre à l’oreille que, dans la salle suivante, attendent une myriade d’objets authentiques repêchés puis restaurés, prêts à être observés par des yeux humains plutôt que par les fonds marins. Le site de l’épave se trouvait à une profondeur de 4’000 mètres.
Un travail titanesque, périlleux et délicat, qui coûta la vie, entre autres, à l’explorateur Paul-Henri Nargeolet, 77 ans, alias Mr. Titanic. Mais aussi à quatre autres membres de son équipage présents ce jour-là à bord du submersible Titan. Ils succombèrent tous le 18 juin 2023 lors d’une expédition de plongée vers la célèbre épave, à seulement quelques centaines de mètres de leur destination.


Me voilà maintenant dans la première salle. Un rapide coup d’œil me permet de repérer l’absence de mon Don-Juan. M’attendrait-il dans une de ses cabines de 1re classe reconstituées, bouquet à la main, un peu plus loin ?
En attendant, je continue de flâner et découvre tous ces d’objets soigneusement remontés à la surface ; le sifflet d’une des quatre énormes cheminées, des manches d’outils boisés de ferblantiers et de charpentiers, un « registre d’air », ancêtre de notre climatisation moderne ainsi que les quelques restes d’un vieux ventilateur cassé.
Un peu plus loin, je trouve même de la correspondance postale ! Je reste ébahie devant ces morceaux de papier, qui ont résisté à l’océan là où un géant de fer a échoué.
J’apprends aussi le destin tragique de son capitaine, Edward J. Smith, qui, alors âgé de 62 ans, devait prendre sa retraite. Mais la White Star Line, compagnie possédant le Titanic, l’avait persuadé d’effectuer une toute dernière traversée. Ce qui devait être son tout dernier voyage professionnel se transforma en tout dernier voyage tout court.


Je pénètre dans un nouveau couloir, couloir aménagé en réplique de ceux menant aux plus belles suites. Je passe lentement, laissant mon imagination naviguer et divaguer. La chambre de Mr. Cardeza devait se trouver quelque part par là.


Je continue la visite, toujours à l’affût de mon futur époux.
À peine plus loin, je découvre une fameuse reconstitution d’une cabine de première classe. Je regarde méticuleusement, mais aucune trace de Léo, ni de son bouquet de fleurs.
J’aperçois d’autres salles reconstituées, dont les bains turcs et le Verandah café. Toutes étaient réservées aux passagers de 1re classe. Voilà de quoi m’immerger un peu plus profondément dans la peau de mon identité prêtée, Thomas Drake Martinez Cardeza. J’apprends que le billet lui aurait coûté quelques 4’000$, soit à peu près 103’000$ d’aujourd’hui, luxe et raffinement garantis. Une légère nausée se fait sentir à la découverte du prix. Mais c’est probablement dû au mal de mer.


Nouveau couloir, changement d’ambiance. Me voilà plongée en pleine troisième classe. L’écart ahurissant entre le confort des premières et de celles-ci est frappant. Exit la moquette et les moulures, ici il fallait se contenter du strict minimum.


Je continue et arrive dans les chaufferies. Impossible que Léo m’attende ici.
J’apprends avec tristesse la fin tragique des travailleurs, qui n’ont pas pu tous être sauvés, tant l’eau montait vite après la collision.


En parlant de collision, me voici maintenant dans la salle « immersion », ou le noir profond de la nuit flirt avec le bleu froid de la glace.
Mon Léo m’attendrait-il ici, afin que la chaleur de notre amour fasse fondre les glaciers qui nous entourent ?
Rien en vue. Je continue donc la visite. Et pour accompagner le froid environnant, des citations de rescapés déchirants ; une femme perdant à jamais son époux, des hommes apprêtés avec raffinement, prêts à mourir dignement en Gentlemen, et les espoirs de survie d’un père de cinq enfants.
Je frissonne à l’idée de l’horreur dont ils ont été témoins cette nuit-là. D’abord le bruit et le chaos, laissant finalement sa place à un silence de mort.
J’y apprends aussi qu’aucun des musiciens n’a survécu. Le seul ordre qui leur ait été donné cette nuit-là était de jouer. Jouer pour calmer l’hystérie, jouer pour accompagner les derniers instants de vie. Leurs vies.


La visite n’est pas terminée, et me voilà à présent à mille lieux sous l’océan. Là où repose l’épave du célèbre bateau. À quatre kilomètres de profondeur de la surface de l’Atlantique précisément.
Un étrange calme flotte dans l’air. Serait-ce dû à la présence de mon âme sœur ?
Un coup d’œil rapide, mais rien, si ce n’est quelques visiteurs et moi.
J’y trouve alors d’autres objets soigneusement sauvés des eaux. Mission contre-la-montre, puisque les chercheurs estiment quand dans quelques décennies, les bactéries s’attaquant au métal auront tout dévoré, effaçant ainsi toutes preuves de ce tragique récit.
Avant-dernière salle ; le suspense est à son comble. Me voilà à l’instant précédent le début de notre nouvelle vie, à Leonardo et moi.
Suspense aussi, car c’est ici que je découvrirai si mon compagnon du jour, Mr. Cardeza, survécut ou non au naufrage.
Après avoir lu une trentaine de noms, je les trouve enfin, lui et sa mère, dans la liste des rescapés.
Ils firent partie des 199 personnes de première classe sauvées, contre 125 disparus.
En seconde, ce fut 116 âmes sauvées contre 168 décédées.
En troisième, ce fut 181 miraculés contre 529 échoués.
Mais les plus grosses pertes se firent dans l’équipage, avec 209 réchappés contre 701 trépassés.


Dernière salle ; immersive au possible avec une visite de l’emblématique Titanic projetée sur les 4 murs de la pièce. Visite du bateau avant qu’il ne sombre, mais aussi après avoir touché le fond dans sa dernière demeure des profondeurs.


Une fin tragique pour celui qui était surnommé « L’insubmersible », et qui fut, un court instant, le plus gros et plus luxueux bateau jamais construit.
Toujours aucune trace de Léo. Il sait manifestement comment se faire désirer ! Mais je me rassure, il doit sûrement m’attendre à la sortie, genou à terre et bague en main.
C’est la fin de l’exposition et donc de cette chronique. Mais ne vous en faites pas, avec Léo, on ne manquera pas de vous envoyer une carte postale de notre voyage de noces. Et pour ceux qui se posent la question, nous voyagerons en avion, cela va de soi.

PS : pour tout savoir de ce bateau mythique et de son destin terrible, l’exposition Titanic est encore à quai jusqu’au 26 janvier 2025, à Beaulieu Lausanne.

CF

www.titanicexpo.ch

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